Revivre au Langtang 10 juin 2015 10 juin
Témoignage.
Comme un coup de torchon que l’on passe sur une nappe où les miettes se sont accumulées, Langtang notre cher village himalayen a été balayé, broyé, anéanti par la montagne, ensevelissant tous nos amis ce samedi 25 avril 2015. Les protections spirituelles, les autels, les déités courroucées protectrices, les mantras récités dans le vent, les gri-gris, et même notre amour de parrains, n’auront pas suffi.
C’est injuste, criminel, il faudra bien que Bouddha rende des comptes !
Mais les larmes n’entraînent que vers l’abattement. Alors il faut sécher nos yeux, et la décision a été prise par l’association « Tibétains et peuples de l’Himalaya », Langtang, village martyre (un symbole national ?) revivra !
En 2005, lors de ma première visite proposée par notre asso, le village était plutôt méconnu, isolé, pauvre, très démuni. Ce 25 avril au matin, avant la tragédie, fréquenté de plus en plus par le tourisme, il donnait enfin l’apparence d’un site en voie de développement, enfin reconnu et apprécié. Allez, fi d’humilité, j’ose dire que notre asso y avait été pour un petit grand quelque chose. Bien sûr la propension à la modernité était venue un peu banaliser la rusticité des lieux, des guests-houses en béton s’étant multipliées au détriment des modestes fermes anciennes, le jeans chassant les habits traditionnels ; peut-être aussi notre contact d’occidentaux y fut pour quelque chose, et puis un certain attrait de la ville les aspirant. Mais tout cela pour une vie espérée meilleure, et enfin la sortie de l’isolement.
Un avenir assuré? Un avenir….
« Extrait de road-book »
Langtang 2005
Bloqué trois jours ou plus à Syabru-Besi. Népal apparemment en supposée grève. “no bus, no Tivi, no telephone, no nothing Sir!”. Piaule glacée, ma poitrine gronde, je crache gras, mouche dans les doigts. Des trekkers indifférents à toutes les difficultés d’ici, sont rentrés en Jeep pour la somme effarante de 70000 roupies. En attente d’un hypothétique bus branlant je tiens à poireauter avec mes amis népalo-tibétains, moucher, cracher comme eux. « no paper Sir ! », j’écris donc au dos de la facture de l’Ibis de Roissy et me rends soudain compte que le prix de la nuitée aurait, ici, fait vivre une famille pendant plus d’ un mois (shame on me). Pendant ce temps certains touristes s’obstinent à ne rien voir autour d’eux, à ne voir qu’eux-mêmes. Et puis pendant ce temps, le Grand Yaka, roi du Népal, s’empiffre depuis 2001 et tiraille sur les pauvres utopistes du maquis. Puff…
Retour en arrière. l’asso a pensé à tout. Pour une poignée de roupies (peu pour nous, beaucoup pour les Népalo-tibétains), mon guide improvisé, le jeune paysan Gyurmé, descendu me chercher, me pousse de toutes ses forces dans le bus déglingué, bondé, avec des ballots dessus et des gens encore au dessus. Dix heures pour faire cent cinquante kms entre deux pannes, dont un amortisseur changé miraculeusement dans un hameau. Poussière et manœuvres au dessus du vide pour laisser passer des camions ou des vaches, -pas les poules-. Ici, accrochages valent mieux que dégringolade dans le vide. Rigolades ! Quatre contrôles de militaires plus deux check-points armés du parc régional de Rasuwa. Les autochtones doivent descendre du bus et faire une queue silencieuse au contrôle. L’ambiance est tendue, car il y a eu des attentats pas loin d’ici. Seul à bord, m’offre l’audace de demander à un bidasse pourtant sourcilleux : « how much for your gun ? » -sourire en douce accordé- Copain avec Dawa, garçonnet de neuf ans, main dans la main. Les Népalo-tibétains qui remontent aux villages m’offrent thé et gâteries, j’en fais autant. Rires et sourires à profusion. Tusitché yagpoudou ! (merci braves gens !). Misag, rayonnante jeune femme, insiste pour me confier son numéro de téléphone de Kat ; elle apporte quelques subsides à sa famille restée au village. Lavage et gouttes dans les yeux de la vieille Rikchi, (peut-être plus jeune que moi). Tous ont fait leur marché, soins divers, troc, vendu un p’tit chien, ou autres, à Kat, car nulle emplette possible dans la montagne. Après le bitume défoncé, une acrobatique piste étroite serpente dans les éboulis et n’en finit pas de passer des gués inattendus. Terminus pour la mécanique. Le lodge de Syabru-Bensi aux courants d’air gratuits, pas chauffé. Douche glacée , me contentant que du bas frotté plus plus. Cette nuit mon duvet d’oie acheté « peanuts » à Kat fera merveille.
Ça grimpe comme des escaliers, up and down, le long d’un torrent furieux. Tout deux nous fonçons, sans porteurs. Un porteur adulte trimballe cinquante kilos, une femme vingt cinq, un ado douze, c’est syndical ; une exception rencontrée : quatre vingt dix, en tongs ! Namasté ! (bonjour népalais), tachi delek ! (bonjour tibétain) sans cesse. Des singes curieux. Des bovins placides nous frôlant. Hameaux plus que modestes. Toutes les cahutes affichent : « well-come, best luxury, come as a guest go as a friend ». Les montagnes écrasantes. Le nez en l’air, je trébuche. Egratignures. C’est encore la forêt. Thé beurré ou au lait pour quelques roupies, offert les mains jointes, soumission affectueuse gênante. Il faut aller vers les gens, ils sont si gentils, commerce ou pas, peu insistants, souriants, ouverts à l’échange, se plaignant timidement de cette p…de vie. Le froid qui gagne dans l’ubac. Plus haut les cascades gelées. La frontière n’est pas loin à vol d’oiseau, là où des exilés tibétains ont été tirés à vue par les gardes chinois ( vu à la télé). Un lama de Kat me racontait que blessés et faibles doivent être abandonnés dans la neige à cinq mille mètres pour ne pas compromettre la survie du groupe… Les chortens, les drapeaux du mantra lungta psamodié par les vents, et moulins à prières chuchotés par l’eau du torrent. Les bergers lointains qui nous saluent, eh ho namastééé ! Les vieux ridés comme des poires tapées (spécialité de mon pays), qui prisent et rient de mes infructueux essais éternuant. Gyurme doit m’attendre souvent. Je peine. L’altitude se fait sentir. Finie la gloriole, tour du Mont-Blanc, ou celui de la Bretagne, balivernes ! Fougue coutumière, ici plus que modeste. Je pense à mon ami lama mongol, le mystérieux Tenchoy, qui m’assure que certains collègues lévités font en courant des bonds de gazelle à une telle allure que je dois taire sous peine de me décrédibiliser. Moi, suant, peinant, je rame avec les douze kilos de médocs, fournitures scolaires, fringues de gosses, bonbons multicolores. La caillasse maintenant dans l’espace infini où la verdure a renoncé. Les lodges sont vides, merci les médias occidentaux, j’ai quand même vu des maoïstes…à la télé française avant de partir, musique de film d’épouvante à l’appui, vraiment merci pour l’économie locale !
Langtang, trois mille cinq cent mètres. D’adorables maisons tricentenaires de pierre brute et de bois au balcon rustique et aux fenêtres de bois sculpté naïvement, peut-être d’influence newar. Petites fermes humbles mais chaleureuses, tenues par les descendants de lointains Tibétains fuyant les hordes du nord. Le rez-de-chaussée c’est pour les animaux, la pièce unique au premier c’est pour les humains. Le plancher mal équarri à claire-voie y laisse passer la chaleur, l’odeur, les bruits familiers des animaux, leurs pets.
Tachi delek ! Un chef, genre de maire officieux, nous accueille, thé à l’appui. La foule qui s’agglutine. Les enfants qui toussent, les crachats gras, la morve jaune. Les robes de bure en lambeaux. Les orteils noirs apparents. Les petits cadeaux distribués équitablement de masure en masure. Je sature de lait frais et tiède offert dans l’étable, de thé, alors que je déteste le thé chez moi. Tousitché (merci) les mains jointes. Les faces noires, les mains noires, tout itou, mais je crois bien qu’ici il n’y a que moi qui pue vraiment, à cause de ma sueur de blanc. Pas de toubib, pas de médocs, pas de téloche, pas de radio, un prétendu centre de soins introuvable hormis sur la carte, pas de pilule, pas de capotes, la vasecto à trois jours quand on a des ronds. L’école, une masure, est fermée parce que l’instit, une gamine de niveau certif revenue au village, est de corvée de bois, en portage de dos. Et combien d’autres hameaux ainsi, sans doute inaccessibles en hiver. Communauté de gens humbles. Consterné par ce que je découvre, et honteux du « luxe » que je représente, je vide les ultimes poches de mon sac à la volée.
Les jeunes et moins jeunes du bus ont galopé en blaguant sur la piste, malgré les ânées ; tous m’attendent chez Gyurmé. Pièce unique enfumée au-dessus de l’étable. Il y a là Rikshi (et ses gouttes à lui re-re-mettre), Diki, l’adorable épouse et ses deux petits derniers ; les deux aînés sont à l’école à Kat grâce à de généreux parrainages français suivis par l’asso. Et les parents, les voisins, qui viennent voir le seul « westerner » qui va condescendre à coucher dans le dénuement et surtout pas au lodge-cabane avec les trekkeurs.
L’âtre pétille à même le sol sur une dalle de ciment, bois, brindilles, bouses de yak séchées. Quelques marmites trainent sur une étagère de terre, le thermos de thé omniprésent, des boites d’épices en fer rouillé, une bassine d’eau du torrent à disposition, vêtements suspendus à une corde, imposant tas de literie de lourdes couvertures de feutre empilées contre le mur de pierre, un minuscule vieux meuble à tiroirs multiples, un banc coffre où se rangent sans doute les belles tenues de mariage et de fêtes, la baratte de bois patiné, un bout de tapis très usagé pour les invités. Et puis le coin rituel et sacré de l’autel avec les déités encadrées, une photo jaunie de sa sainteté le Dalaï-lama vénéré qui ne viendra jamais, d’anciens mantras jaunis (ils m’en offriront quelques uns) les bougies à la flamme entretenue, l’encens consumé, les écharpes katas, les fleurs de papier un peu kitch, quelques mystérieuses reliques, vieille mèche de cheveux poussiéreux comme un scalp, quelques coupelles ébréchées avec de l’eau, de l’huile, du beurre de yak, une rare et unique orange en offrande, dont ils se privent.
Faute de soufflet à bouche Diki, les yeux larmoyant souffle d’une étrange façon pour raviver les braises ; elle aspire sur le côté de la bouche et souffle du bout des lèvres. Elle malaxe, triture, baratte, torche la morve des petits de sa main gauche, dite impure, fait bouillir la marmite, tandis que je fais le clown pour tous les gosses. Chants polyphoniques féminins surprenants de justesse, et de danses sensuelles du fond des âges en robes lourdes et baskets, auxquelles je suis invité. J’y vais aussi du « Ramona » de mon papa mais chute comme d’hab dans l’aigu. Gros rires de dents cariées assortis de bourrades amicales.
Il se fait tard. Il faut encore ingurgiter de multiples restes bourratifs comme les momos ou la tsampa, accroupis tous en cercle, chaud devant, froid dans le dos, quelques petits endormis sur moi comme des chiots, le ventre rond, après m’avoir chanté « tchom tchom tchom ». Dedjen, vingt ans ? plus ? privée de l’indispensable mari, admire sans cesse les yeux bleu qu’ils n’ont pas, et caresse furtivement la barbe naissante qu’ils n’ont pas. Elle ose : « you marry me ? », à moi, presque vieux machin troublé, que les belles nanties trop compliquées qui-en-veulent-toujours-plus, chassent à coups de balai. Parce qu’ici le bouddhiste sait que l’être le plus important est celui qui vous fait face, maîtrisant l’impermanence de l’âge, et sublimant le miracle de l’instant. Dedjen voudrait aliéner sa vie pour me servir (honte à mes pensées). Il faudrait tout réapprendre, effleurer du bout des doigts comme E.T, et du bout des pupilles qu’on devine à peine. Tenter encore d’aimer aimer.
Ils m’ont réservé l’espace sacré près de l’autel de Sakiamuni. La fenêtre avec un carreau brisé mal réparé avec un bout de sac plastique, juste au dessus de ma couche, va enfin m’autoriser à corriger mon asthme. En effet, la fumée de l’âtre qui devrait s’évacuer par le plafond de brandes, a tout envahi. La pièce unique toute noire est « culottée » comme une vieille pipe, et nous nous caramélisons nous aussi petit à petit, mais consolation, l’odeur est, comme certains jambons, finalement agréable!
Gyurmé m’a proposé, après le dîner, de rajouter quelques brindilles sur le feu mais, éclairé d’instinct, je refuse le privilège qui m’est offert. Les vieux se sont couchés dans leur coin, les petits collés à eux ; je les entends échanger des minauderies en de discrets chahuts. Le feu de cuisine tombant il fait de plus en plus sombre, et de plus en plus froid. Je n’entends plus un bruit, mais je guette. Le jeune couple s’étend tout près de moi sous leur lourde couverture de feutre. Tous se sont allongés tout habillé, et j’ai du bien me contorsionner pour enfiler le pyjama devant leur grande curiosité. Les braises éteintes c’est maintenant la pénombre. Et c’est alors, aux premiers ronflements des vieux, que je ressens l’activité discrète du couple, dont les vibrations parvenues jusqu’à moi, me font verser une larme d’empathie.
Cette nuit l’eau de mon bidon gèle. Je dois enjamber les corps assoupis par terre , des porteurs fourbus ayant gagné la grâce de l’hospitalité, pour aller pisser sur la glace, et sous Orion que je peux toucher et qui compte ici plus de douze soleils. Le lendemain ils me disputeront gentiment, « que je prenais des risques, que la nuit les esprits mauvais pouvaient me capturer, que je leur manquerais, et qu’il y a l’étable pour faire ses besoins, de ne plus jamais recommencer ça »…
Je pars au petit jour pour me heurter au pied du majestueux et menaçant Lirung ,7225m, monstre blanc sacré qui semble me dire : « t’es pas sherpa, demi-tour p’tite bestiole ! ». Nausées, maux de tête, inappétence, j’suis foutu. Je reviens dormir douze heures d’affilée dans l’âcre fumée. Chuchotant, le village défile, le souffle tiède des uns et des autres, la morve reniflée. Mon sac, mes effets, mon fric, pendus au clou. Ma vie entre leurs mains ? Mais ici on ne touche qu’avec les yeux. Diki se penche et tente un « tea On-ouy ? »- peine perdue. « garlic soup good for altitude On-ouy ? » -négation- commisération publique- On me cale dans le duvet un gros bébé odorant de lait de femme comme bouillotte, sa poitrine râle et me brûle. J’ai enfin été, du coin de l’œil, le témoin de l’origine du baiser d’amour, j’ai vu Rinchen donner de la tsampa humectée de thé et de salive, de la bouche à la bouche, au tout petit frère qui réclamait.
Du balcon le brossage des dents attire un tas de curieux. Suis crado, pas de toilette depuis Jchépukan. Pas de cabinet d’aisances ; s’essuyer comme eux avec n’importe quoi, mais eux, si pudiques, délicats, le sens de l’art naïf, et le dos tourné pour l’ami.
Nous repartons. Je porte sur la tête le local passe-montagne blanc, offert (mais très grattant) que j’offrirai à mon tour à un très vieil homme au Myanmar.J’ai les yeux bien humides au moment de l’écharpe kata passée autour de mon cou par Diki et qui veut peut-être dire « ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid ». Les yeux qui se débrident d’étonnement, ici sans doute on ne pleure qu’aux pujas des funérailles. Les enfants du village exhibent leur seul bien, le crayon-bille reçu la veille. « kombac On-ouy ! » il ne manque plus que la musique du film « Himalaya l’enfance d’un chef ». Dawa, mon p’tit cop du bus, qui n’a jamais dit le moindre mot, et qui se blottit contre moi. Dedjen aux-yeux-en-forme-de-traits-de-crayon qui tient à porter mon sac un moment, et que j’ose embrasser sur les permanents ronds rubiconds des joues. Un dernier regard à mes deux vieilles paires de grolles de Compostelle, trop grandes dans les pieds de mes nouveaux potes. Je palpe encore une fois l’oreille de Norbu pour m’assurer qu’il n’y a pas de ganglions. Ultime visite au Dukang, la si modeste salle de culte pour saluer les hommes. Puis taquiner les femmes souriantes et uniformes, croisées sur le chemin, leurs hottes tressées déjà lourdement lestées de bouses sèches, légumes, ou autres terreaux. Soudain, à la dernière maison, on me présente un enfant de trois ans qui ne marche pas. Je chante « tchom tchom tchom » et tente de le faire danser en échange d’un bonbon. Problème neuro-moteur ? …zut, j’suis pas toubib ! Mais à mon prochain passage je constaterai qu’ils ont bien bricolé une sorte de youpala de bric et de broc très encourageant.
Le village se perd dans la dernière neige printanière. La longue descente s’amorce, torrent cette fois à babord. Le léopard des neiges ou le panda roux nous observent peut-être d’en haut à tribord. Rencontre derechef avec les gamines qui nous avaient offert des patates…chaudes, cuite à la bouse séchée, dans un champ en montant. Le présent était délicat, de l’or dont on se prive pour un faux bouddha rencontré. Un oncle (l’oncle de qui ?) rencontré en chemin s’ôte le petit collier modeste traditionnel de corail et turquoise, et me le passe au cou avec effusion. Des lianes tressées pendant contre la falaise supposent d’acrobatiques chasseurs de miel.
En carafe ainsi pour trois jours à Syabru Bensi, trou perdu. Refroidi, très enrhumé, me mouche comme eux et frotte comme eux mes doigts sur ce qui est à ma portée, avec un sérieux problème de main impure car je suis gaucher invétéré. Sans kleenoux donc, j’ai donné mes derniers paquets à deux femmes intéressées qui en ont fait bien des commentaires. Rien à faire sur la terrasse du lodge des courants d’air ? Si fait, boire du rhum népalais Kukry acheté quatre cents roupies dans une échoppe, et puis de l’aigre tchang tiède, « bière » d’orge himalayenne, offerte par la patronne, en échange de la promesse de lui ramener une paire d’escarpins d’occase en 36 (ce que je ferai). Vite enivré le On-ouy, car il n’a pas bu une goutte d’alcool depuis son départ de France.
La boss de l’asso m’avait proposé d’aller jeter un œil sur les artisans d’un certain hameau pour vérifier qu’on n’y fait pas travailler les enfants. –impossible- Je suis mal fichu et à court de ronds. J’ai pourtant du temps disponible avec cette foutue drôle de grève. Plus tard, nous irons peut-être avec Temba et Gyurme jusqu’à la frontière chinoise négocier un petit cheval pour faciliter les corvées du village « un blanc ! c’est plus audacieux qu’un roux ou un noir ! ». Ce qu’ils feront plus tard grâce aux retombées de notre passage à l’émission « Des racines et des ailes ».
Imprudemment ni bouquin ni mots-croisés ni musique à l’oreille. Poireauter sur la terrasse et écrire sur le rustique et inégal papier népalais. Picoler jusqu’au glaçant rideau du soleil à peine couché. Pays de la leçon de patience. Il me faut pourtant coûte que coûte être de retour pour Losar, le nouvel-an tibétain, pour me poster en lotus chez les monks de Bodnath, devant les dungchen, ces immenses trompes graves qui me font vibrer l’échine aussi bien qu’une main de femme.
J’apprendrai au retour que le roi a fait son « coup d’état » contre les maoïstes, et la corruption (SA corruption, non mais !) bloqué le pays, déployé l’armée ; et interdit transports publics, la vente de tabac ( !) et tout le réseau téléphonique.
En cela Le Grand Yaka, m’aura donc privé de retrouver la belle inconnue Misag, que je chercherai pourtant longtemps dans tous les bouges de Kat, maladroitement aidé de gestes incertains et d’une piètre photo d’elle, et puis enfin de quelques comparses locaux rémunérés à perte. En vain.
Ce jour, deux semaines après le drame, les médias ont enfin « découvert » Langtang, cessant de causer sans fin de briques newar et des nantis de l’Everest à quarante mille euros l’aventure individuelle !
Dans la minuscule chapelle dukang reconstituée à la maison, je médite devant le même autel qu’à la ferme, et le visage approchant avec fébrilité les mantras offerts par Gyurmé et Diki je retrouve avec une joie émue la persistante odeur envoûtante de l’âtre et de l’encens d’avant. Alors je tente assidument, comme nous tous amis de TPH, de faire revivre en moi, en un étrange sentiment de douleur et d’attachement surdimensionné chez nous, nos amis si chers… henry Fanen.
dequier 12 juin
quel beau texte..tous les petits détails m’ont mis la larme à l’oeil et j’ai au fond de moi ces montagnes du Langtang, qui maintenant réduites en patte à modeler – MERCI
M.Favard 3 juillet
quel dénuement, quelle humilité et surtout quelle richesse de coeur ont ses peuples qui vivent si loin du progrès et de la vie superficielle que nous menons ici en Europe!!
les vrais valeurs sont là-bas
C. HAMARD 25 août
Merci à Henry pour son regard bienveillant sur le peuple tibétain et son témoignage touchant, généreux et si utile pour nous tous, peuple dit « civilisé » qui oublie souvent l’essentiel. Bravo.